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Debriefs
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  • Debriefs... au boulot, entre copines, souvent, pour des choses primordiales et d'autres plus futiles. Un "mini" tour du monde mérite bien un debriefing... Et, pourquoi pas, maintenant que ce voyage est loin, continuer de debriefer ?
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29 septembre 2015

Djerba ou un monde d'incohérences

C'était en mai 2011. Après presque une année et demie passée sur mon premier vrai emploi, j'avais besoin de prendre l'air, mais surtout de ne penser à rien. Rien d'autre que moi, mon livre, et le calme. Le tout sur un budget de CAE, soit le SMIC par mois. Dès lors, peu de solutions s'offrent à des gens dans cette situation : séjour tout compris vers une destination pas chère.

J'aurais aimé le sud de l'Espagne ou les Baléares, éventuellement la Grèce et la Crète, mais le plus abordable était la Tunisie, et plus précisément Djerba. Il est vrai qu'un séjour à 390 euros + 70 euros de supplément chambre seule en tout compris (vol + hôtel + pension complète + boissons illimtées toute la journée) pour une semaine à ce tarif là est plutôt tentant. Et puis, je ne partais pas pour découvrir une ville, m'extasier devant un paysage ou apprendre une culture. Je partais pour me vider la tête.

Banco, dis-je donc à l'agent de voyage, je pars une semaine à Djerba.

Djerba, ça veut dire soleil, plage, langue française.

L'hôtel tout compris ça veut dire : pas de repas à préparer, pas d'enfants à surveiller, pas de planning à élaborer. (On pense pour vous à planifier la danse du soleil, paroxysme d'une journée en club.)

Sans vouloir blesser ni heurter personne, il s'agit là d'un constat tout à fait personnel, j'ai vécu pendant cette semaine une expérience très troublante que je vais tenter de vous faire partager. Du point de vue d'une touriste d'une part. Du point de vue d'une femme d'autre part. J'imagine que ce sont là des conséquences directes et bien compréhensibles du tourisme de masse et d'une emprise économique de quelques-uns sur d'autres. Le problème est que les dérives qui en découlent sont à mon sens de mauvaise augure....

Tunisie6Le tourisme en club, pour mon cas particulier, ça veut dire du bon et du moins bon. En effet, je préfère passer ma journée bouquiner au soleil à côté de la piscine qu'emmitouflée les pieds gelés dans une pièce sombre. En revanche, les pieds gelés dans une pièce sombre, la danse du soleil ne vient pas perturber l'univers de "L'ombre du vent", ouvrage qui m'accompagnait dans ce voyage. Et que je recommande aux quelques uns qui ne l'auraient éventuellement pas lu.

Certes, chambre seule, mais hôtel de quelques centaines de chambres avec uniquement des touristes français qui sont là pour qu'on les prenne en main, du petit-déjeuner à la chorégraphie du barracuda sur Claude François. Ce qui n'est pas ma façon de m'amuser, encore moins celle de concevoir des vacances... Ce genre de tourisme, c'est la caricature du bedonnant qui bouge les fesses en évitant soigneusement le rythme. C'est l'oubli total qu'on possède un cerveau, des connaissances, et la capacité d'en discuter. C'est l'envie irrépressible de se ruer sur la piste de danse dès que retentissent les premières notes du tube du moment. C'est la joie de se faire sauter dessus par des moniteurs en folie quand on fait quelques brasses dans la piscine. C'est le paroxysme du néant intellectuel, de l'oubli de soi, de la régression. Il paraît qu'il y en a qui aiment. Mais pense-t-on deux secondes à l'idée que des gens qui ne voient que ça de nous peuvent en déduire sur notre culture ?

J'ai donc, pour ma part, cultivé ma solitude et tenté quelques incursions en dehors de l'hôtel.

C'est là que j'ai été confrontée au paradoxe. Nous, Européens, sommes ravis de profiter de vacances au soleil pour quelques sous. Mais réalisons-nous que nous sommes parqués dans des hôtels clos et surveillés, et que les "locaux" eux, sont relégués à la porte, hormis les exceptions du personnel de l'établissement ? Ce qui amène à des situations absurdes : dès le premier jour, en reconnaissance autour de la piscine, j'entends, un sifflement, quelqu'un qui m'appelle depuis l'extérieur. Polie, je réponds. Un charmant garçon (la quarantaine), me fait d'emblée l'article pour une promenade en calèche, qui m'amènera jusqu'à Midoun, ville la plus proche. Fraîchement arrivée, je n'ose dire non, et me voilà engagée à faire une balade que je ne voulais pas tirée par un cheval qui ne fait que ça toute la journée... Et quand je dis engagée, c'est engagée. J'ai voulu décaler cette balade, parce que pas envie de me soumettre au planning de quelqu'un d'autre, et le charmant monsieur a trouvé les mots justes pour me faire comprendre qu'il supputait que je voulais annuler, que ça ne se faisait pas, qu'on avait un accord verbal, et qu'il serait tellement ravi d'avoir une jolie demoiselle dans sa calèche. Bah tiens. Dans le panneau la Fanny ! Culpabilisée et flattée en même temps. Prouesse masculine malheureusement assez fréquente. Ou comment profiter d'une rare trace de bonne conscience chez les Européens qui, pour la plupart, ignorent royalement ces pauvres hères qui passent leur journée à tenter de leur arracher un regard. Européens qui, du coup, ayant suscité le boniment d'en face, se renfrognent encore plus, accentuant la manipulation de l'autre côté. Vous voyez ce que je veux dire. Le serpent qui se mord la queue. Ou qui mord l'improbable touriste de bonne foi. Creusant un fossé de défiance entre deux populations forcées de cohabiter. Les uns légitimes parce qu'ils sont chez eux, les autres se sentant légitimes parce qu'ils paient.

Voilà comment, sous prétexte de développement économique, on envoie des populations moyennes en vacances pour des prix modiques, chez des gens dont la seule ressource est le tourisme, et qui se voient spoliés : leur terre, leurs coutumes, leur culture délaissées au profit d'un gain qui ne leur revient pas directement dans les mains, puisque la plupart des touristes clients de ce genre de club, comme je l'étais, comptent limiter au maximum leurs dépenses sur place.

A cela s'ajoute une incompréhension fondamentale entre deux cultures qui sont confrontées de face, exacerbant les rancoeurs de part et d'autre, en venant à des situations ou l'autre est considéré seulement comme "pratique et pas cher".

"Pratique et pas cher", le room service en Tunisie. "Pratique et pas chère", la femme européenne en Tunisie. Voilà comment je me suis sentie considérée en tant que jeune femme seule pendant cette semaine. Un morceau de viande, pas trop dégueulasse, vulnérable, célibataire, et pas farouche. Du pain béni, pour des hommes dont les soeurs/femmes/cousines sont bridées.

Déjà à l'hôtel, en club tout compris, les minettes sont d'emblée repérées par le G.O. Je n'ai pas dérogé à la règle. A peine assise pour mon premier dîner, le jeune "DJ animateur" s'installe en face de moi et me baratine. J'ai vaguement tenté de lui faire comprendre que j'étais là pour profiter de la solitude, et que je ne comptais pas lier quoique ce soit. Il a fini par comprendre, et j'ai terminé le dessert toute seule. C'était compter sans l'un des serveurs, qui, ayant repéré le manège du premier, est venu discrètement faire le prince charmant "il vous a embêtée ? Non parce que vous savez, il fait ça à toutes les filles, n'hésitez pas s'il vous agace". Mouais. Là aussi je l'ai senti venir, mais lui étant de l'île et m'invitant à prendre un thé en dehors de l'hôtel le lendemain, ma curiosité et mon envie de voir Djerba "pour de vrai" ont été plus fortes. J'ai donc "lié quelque chose" avec lui, que j'appellerais S.

On en est qu'au premier soir, si vous suivez bien. La semaine va être longue ! Le lendemain, souvenez-vous, j'avais prêté serment de profiter de cette formidable balade en calèche. Le charmant monsieur de la veille me confie à l'un de ses employés, que j'appellerai A., qui m'a gratifiée d'une balade fort silencieuse jusqu'à Midoun, où il était contractuellement tenu de m'offrir un thé et une pâtisserie dans un bistrot. Et là, surprise, ce petit jeune (oui) se lâche, et veut faire un selfie avec moi, et veut que je parle à son cousin qui est en région parisienne... Pas moyen de contourner, je dis bonjour dans le téléphone. Et sur le chemin du retour, séduction à deux balles, façon baratin tu-es-une-princesse-et-je-vais-te-rendre-heureuse. A croire que le Dr Jekyll de l'aller avait fait place à Mr Hyde. Ce qui pose tout de même la question du pourquoi : certes, je suis une créature divine, m'enfin à ce moment-là je m'étais contentée de me taper le cul sur le banc bancal de la calèche en me cachant du soleil derrière mes lunettes démesurées, sans répondre à son absence de conversation, cela va sans dire... Qu'à cela ne tienne, me voilà à nouveau invitée à boire un thé... Que je ne sais pas comment refuser, idiote que j'étais, m'imaginant sans doute que j'allais briser son petit coeur...

Bref, je vous la fais courte. Après avoir bu un thé, et échangé un peu de salive (ne huez pas s'il vous plaît, j'étais en vacances et désemparée par une récente rupture), l'attitude masculine a changé de façon radicale. Auparavant, mes jupes et robes sans manche semblaient être du plus bel effet, et ne gêner personne. Ensuite, je ne devais plus me promener seule et les jupes sur un scooter c'est en quelque sorte une manifestation maléfique (en fait c'est juste le vent qui a tendance à relever la jupe à mi-cuisse). Pour le dire de façon plus triviale, j'ai clairement eu la sensation qu'ils me prenaient pour une salope, que ça leur plaisait, mais que ce serait pas mal si je ne l'étais que pour eux parce que tous les autres mecs sont des chacals incapables de se tenir.

Tunisie4Vous pourrez rétorquer à ça que dans les pays du Maghreb il existe des conventions, des règles qui semblent immuables sur les rapports entre les hommes et les femmes. Certes. Je reconnais également que je ne voulais pas me soumettre à ces règles que je juge discriminantes et insultantes envers les femmes. Je l'ai bien cherché, me direz-vous. Certes. Mais ce fait de nous considérer, nous Européennes, comme des fantasmes, en n'acceptant pas notre mode de vie est tout aussi révoltant que mon refus d'obéir à des règles qui ne m'auraient rien coûté lors de ma semaine sur place. J'en reviens à ce que je disais plus haut : confrontation directe pour des mauvaises raisons. On n'est pas là pour se découvrir ou apprendre, on est là pour pas cher pour les uns, pour gagner sa vie pour les autres.

Quoiqu'il en soit en tant que femme cette expérience a été déplaisante. J'ai eu la sensation d'être une "propriété" avec les deux zozos, et une aberration lorsque je me promenais toute seule avec tous les hommes croisés dans la rue. Peut-être que mes griefs féministes pour les quelques règles misogynes de la culture musulmane auraient dû m'empêcher d'aller à Djerba. Je le pense. Et n'y retournerai pas toute seule.

Finalement, comme prévu, ces vacances ont eu l'effet escompté : oui, je me suis vidé la tête, oui, je suis rentrée détendue. Avec malgré tout en arrière-plan cette tâche sombre... Ce voyage à Djerba est le seul de tous ceux que j'ai eu la chance de faire qui me laisse un mauvais arrière-goût. Peut-être faudrait-il y retourner, mais sans mes oeillères de "touriste discount".

P.S.: Rassurez-vous tout de même, j'étais rentrée de ce voyage avec un petit pincement au coeur, que je vous ferai peut-être partager prochainement, avec un petit J. dans les valises. Une histoire jolie, qui m'a fait un bien fou, mais qui n'a pas abouti...

 

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